« En 2006 je me suis offert quelques mois pour tenter, dans l’espace de l’atelier, de nouvelles aventures, pour prendre le temps de faire sans obligation de résultat. Chaque jour je commençais par parcourir l’atelier en cherchant la matière qui pouvait m’inspirer, puis j’explorais tous les possibles pour la faire parler. C’est ainsi que j’ai expérimenté le papier de soie, le fil de fer, la neige dans le jardin, la pâte à modeler, la peinture… Je ne gardais rien, pas d’encombrement, mais il y avait toujours un moment dans la journée où je prenais des photos. J’ai beaucoup appris de ce temps entre parenthèses : appris à jouer, à laisser venir patiemment, à ne pas être dans une longue pratique de la technique mais plutôt dans une création de l’instant. L’action de créer se faisait de plus en plus dans des déplacements, aller chercher des choses dans ce qui était stocké, prendre un élément, le juxtaposer à un autre. Je me suis mise aussi à dessiner régulièrement avec un fil de coton que je trempais dans du brou de noix. Je regardais très souvent à l’écran les photos de tous ces moments pour essayer de comprendre ce que je cherchais. La ligne, le blanc, la légèreté, l’espace, la rouille, le jeu, sont les éléments nouveaux qui pourraient correspondre à ce temps d’expérimentation.Petit à petit je suis retournée à la terre. Alors je parcourais l’espace de l’atelier en cherchant de nouvelles matières à explorer : mon regard s’est posé sur les poubelles de terre à l’état de barbotine, sur les pains de terre sèche.
Au début j’ai commencé par faire des pièces uniques, elles m’intéressaient, mais après quelque temps je ne les trouvais plus assez singulières, alors je les ai fragmentées pour en garder la matière. » En 2012 en réponse au thème ‘Matière à réflexion’ proposé par la Galerie Capazza, le carreau émaillé est apparu dans mon travail.
Je réalise seulement aujourd’hui que le quartier du port autonome de Strasbourg, que j’ai dû quitter il y a trois ans, est très présent dans mon travail. J’étais attachée à ce lieu et j’y retourne de temps en temps car je sens que je peux encore nourrir ma création de l’ambiance de ces sites industriels. Chaque jour, les paysages du port autonome sont différents, en mouvement
constant, les trains, les péniches, les montagnes de containers, les tas de palettes et de grains, les caravanes des gitans… tout bouge, tout change. Je sillonnais tous les jours ces paysages à vélo, au milieu des odeurs de la malterie, de l’usine de café Sati. À chaque passage, des nuées de pigeons s’envolaient quittant les toits des hangars à grains. Alors j’y retourne avec l’idée de tenter des choses dans ces lieux, juste pour susciter l’évolution de mes recherches. Dernièrement j’y suis allée avec quelques pièces dans le coffre de ma voiture. Sur place, avec en arrière plan les paysages du port, j’ai assemblé, construit, puis pris des photos. Je ne sais pas si ces quelques heures passées à photographier mes constructions juxtaposées, mêlées à ces paysages du port me feront avancer… seul le temps le dira. »
ANNE BULLIOT
Propos recueillis par Nicole Crestou - 2014