... Anne Bulliot Construit
… Anne Bulliot construit, empile des morceaux, des détails d’une architecture résiduelle, posés l’un contre l’autre. Des extraits de murs et des concrétions … des matières cuites émaillées - ou pas, réminiscences des ciments témoins de la présence intime de l’argile dans toutes nos constructions. Par obligation (ou par volonté), elle a lâché les pièces lourdes et noires, polies jusqu’à l’usure, pour ne garder que le fil, le trait blanc et l’idée d’un courant d’air qui bâtirait autour de nous, un univers plus humain. Plus fragile aussi. Elle compose avec la terre et quelques fils de fer, vérifiant la possibilité d’une sculpture sans architecte, élaborée par rapprochements inopinés de formes fabriquées. Petits arrangements et morceaux choisis. Elle émaille et cuit tout ces extraits avec toute l’attention que l’on accorde aux pièces uniques et reconsidère les éléments en détails, fragments, matériaux, … Propositions offertes à de nouvelles histoires, de nouvelles expositions.
Tout, pour Elle, s’organise dans le souvenir d’espaces jadis parcourus. Construire alors pour retrouver les sensations, mais construire si peu qu’il pourrait s’agir de l’acceptation d’un nomadisme obligé. Laisser en place la trace du passage. Retrouver les chantiers, le déplacement des hommes au travail, les changements infimes d’un paysage citadin aux lisières des zones urbanisées. L’atelier a toujours été près de la cité, dans les lieux d’échanges. Là où les sculptures, le temps d’une éphémère installation, côtoient les plantes rudérales. Elles aussi, discrètes mais acharnées.
La mise en œuvre des pièces, s’organise dans le doute, se jouant de la question de la pérennité. Les sculptures existent alors, momentanément dans l’insécurité d’un travail instable, qui s’écroulerait au moindre tremblement … Les assemblages s’échafaudent dans l’incertitude. On les regarde avec douceur, étonné de faire partie d’un monde si ténu … Rien n’est plus fragile que l’entrelacs de nos histoires. Il faut tenter malgré tout, de tenir debout. Vivre par le souffle, se risquer à l’équilibre. Défier l’effondrement qui sans cesse menace. Et continuer coûte que coûte à cuire le four de cette minuscule briqueterie qui ne cuirait qu’une brique… mais qui saurait la cuire à notre image.
Sans discours, sans plan préétablis, les œuvres se déploient en installation, envahissant à minima. L’équerre structure le vide supportant les masses qui jamais ne posent totalement. L’angle c’est la maison, le refuge. Le toit, les murs, le sol, tout dès lors, apparaît malgré la volonté d’une totale abstraction; les lieux naissent du chaos : c’est là qu’on voudrait vivre, abrités par la terre. Ce qui compte c’est l’espace, le vide créé qui nous révèle l’ampleur de nos rêves. Tout reste suspendu, aérien, même les agglomérats semblent ne rien peser. Le silence unit les fragiles tentatives. … ça ne tient qu’à un fil! . L’autel est installé pour quelques pénates bricoleurs.
Les couleurs restent légères, discrètes. A peine évoquées, déjà elles s’estompent dans le blanc doux et dominant. L’argile mate se mire dans la brillance de l’émail. On est là, dans la porosité de la terre cuite, penchés à regarder le monde à nos pieds. Comme on observerait les vestiges, d’une civilisation de l’infime. La sculpture a, pour un temps, perdu sa monumentalité pour se rapprocher de nos corps et nous susurrer l’évidence des petites expériences. Et pendant que l’on regarde … discrètement … Anne Bulliot construit, empile, essaye… recommence…
Philippe Godderidge - janvier 2014